Deux livres, deux textes qui font du bien en ces temps d’actualité particulièrement désespérante et anxiogène, qui vous permettront de réussir à finir tout de même l’année 2023 sur une note positive : Alors nous irons trouver la beauté ailleurs, de Corinne Morel Darleux, et Son odeur après la pluie, de Cédric Sapin-Defour. Leur point commun ? La recherche de la beauté dans la simplicité des liens avec le vivant, loin, très loin des exigences des performances instagrammables et des consommations compulsives de notre espèce désaxée. Le sens de la vie, et tout simplement le bonheur, sont à portée de main, dans les livres de sa bibliothèque ou les ballades en montagne avec son chien :
Essai sur la beauté
Nous avions quitté Corinne Morel Darleux, essayiste et romancière, avec La sauvagière, son premier roman et fable onirique sur notre rapport charnel au vivant. La voici de retour avec un nouvel essai issu des nombreuses pensées et idées qu’elle a pu éprouver lors d’un voyage de quelques semaines en Inde, Alors nous irons trouver la beauté ailleurs.

Très justement sous-titré « gymnastique des confins », ce récit, à la croisée du journal de voyage et de l’essai de réflexions politiques, nous invite à désaxer le regard pour lutter contre notre désenchantement du monde, ou notre éco-anxiété pour rependre une terminologie à la mode. Cela passe bien entendu par la fiction, lecture des grands auteurs et écriture afin d’aller chercher la beauté loin des affres du monde actuel, de sa standardisation accélérée et de son règne cynique de l’argent. Ode à la lucidité, à la simplicité et à la sobriété, le texte de Corinne Morel Darleux est surtout un éloge de la beauté du monde, que l’on peut encore trouver dans les interstices et les « confins » de notre planète globalisée et de notre civilisation en voie accélérée d’effondrement. De la vie grouillante des rues indiennes au courage des femme du Rojava, des fulgurances intellectuelles de Rosa Luxembourg aux engagements partisans d’Arundhati Roy[1], des montagnes du Vercors au plateau du Deccan[2], nous suivons au gré des quelques 160 pages de cet essai les réflexions revigorantes d’une autrice engagée, au meilleur sens du terme. Oui, malgré tout, il y a encore de quoi espérer, et cela passe par une nouvelle façon d’envisager notre rapport au vivant, ce qui nous procurera un regain de dignité et une juste appréciation de la beauté. Oui plus que jamais comme l’écrivait l’autrice elle-même avec tant de justesse dans son précédent essai, « plutôt couler en beauté que flotter sans grâce. »
Roman d’amour « animal »

S’étant déjà vendu à plus de 200 000 exemplaires depuis mars dernier et ayant sans doute était placé sous pas mal de sapins en ce Noël, le livre Son odeur après la pluie de Cédric Sapin-Defour n’a plus besoin de publicité pour se faire connaître. Il mérite tout de même toute notre attention. Autobiographie à deux, dont l’un ne pouvait écrire, ce texte narre les treize années de vie commune entre l’auteur, enseignant et montagnard vivant en itinérance dans le Beaufortain, et son chien, un magnifique bouvier-bernois à la présence visiblement plus que salutaire pour l’auteur. On est d’emblée scotché par le style absolument remarquable de l’ouvrage, empreint d’une immense sensibilité ne sombrant jamais dans la mièvrerie. Et du coup ce style nous embarque dans un voyage à deux, puis jusqu’à cinq, non à l’autre bout du monde mais tout au bout de l’amour inconditionnel, sans rien attendre en retour. Ou comment un animal, en l’occurrence un chien si bien prénommé Ubac, peut transformer et surtout transcender la vie d’un homme et de son entourage, depuis son arrivée impromptue comme jeune chiot jusqu’à sa mort inévitable et cruelle mais qui vient en sublimer toute la valeur. Oui il y a des liens tissés avec notre animal qui s’avèrent très forts, sans doute plus forts que ceux tissés avec nombre d’humains. Mais justement la force de ce livre est d’éviter la misanthropie pour souligner au contraire comment la relation entre cet homme et son chien a pu le faire grandir dans sa propre humanité et lui faire apprécier chaque minute de vie en commun, chaque pas de ballades en montagnes et chaque lueur de regards échangés. Finalement ce livre est peut-être un roman d’apprentissage, d’apprentissage de la vie partagée avec un individu d’une autre espèce que la nôtre, avec un chien capable de vous faire ressentir la richesse du vivant et la très grande valeur du temps qui passe, où chaque minute doit être consacrée à l’émerveillement d’être en vie plutôt que de courir après les nombreuses chimères de notre époque désenchantée. Se balader en montagne avec son chien, une vraie idée du bonheur.
Comme l’écrivait Céline : « La beauté on sait que ça meurt, et comme ça on sait que ça existe. »
Benjamin Joyeux
Alors nous irons trouver la beauté ailleurs, de Corinne Morel Darleux, éd. Libertalia, oct.2023
Son odeur après la pluie, Cédric Sapin-Defour, Stock, mars 2023
