Pas de viande dans nos assiettes pour les fêtes : le respect des animaux n’est pas réservé aux bobos !

Refuser de manger de la viande, y compris pour les fêtes, n’est ni une lubie de bobo, ni une triste privation, mais la continuation logique d’un engagement politique contre toutes les formes d’exploitation, n’en déplaise à tonton Michel :

Végés et étrangers même combat

Comme chaque année en cette période, beaucoup d’entre nous vont rentrer dans leur famille et partager au moins un repas en commun pour les fêtes. Et comme chaque année, en particulier en France où la gastronomie est une véritable passion collective, le contenu de notre assiette va être scruté de près, commenté et faire sans aucun doute l’objet des débats les plus enflammés, surtout si vous ne mangez pas de viande. Peut-être même encore plus que si vous parlez des étrangers, le racisme étant malheureusement une autre de nos passions françaises. D’ailleurs votre tonton Michel, celui qui regarde « L’heure des Pros » et « a un avis sur tout, mais a surtout un avis », comme le disait si bien Coluche, ne manquera pas de lier les deux problématiques, expliquant que ces lubies de végano-islamo-gauchisto-bobo-wokiste de refus de la viande et de défense des étrangers, c’est « tout pareil » (à ce moment-là dites-lui « kif-kif », une expression venant de l’arabe et qui ne manquera pas de le ravir).

Car oui, non seulement refuser de manger de la viande serait une lubie de bobos méprisants vis-à-vis des catégories populaires, mais en plus ce serait presque la marque de « l’anti France », de gens ingrats qui ne seraient pas solidaires de notre beau pays, de ces éleveurs, de ces chasseurs et de sa tradition pluriséculaire de massacre animal. A ce stade de la conversation, vous aurez envie de rétorquer à tonton Michel, et on ne pourra pas totalement vous donner tort, que si la tradition française c’est d’être un gros con non seulement raciste mais également violent à l’égard des animaux non humains, en effet vous ne « mangez pas de ce pain-là. » Mais peut-être pouvez-vous également tenter une approche plus subtile, susceptible d’éclairer ses lumières sur la réalité de la condition animale, en évitant au passage, sans doute le choix le plus délicat, celui de ne pas vous montrer trop méprisant.e. Car n’oubliez jamais avec Albert Camus que « toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. » Et quoi de plus politique que le contenu de nos assiettes ?!

Il y a d’abord toute une déconstruction sociale à opérer, chose jamais évidente en quelques minutes autour d’un repas, sur la question de la viande. Mais évitez à ce stade de commencer par Derrida, au risque de perdre votre auditoire et de donner raison aux paranoïaques de l’invasion wokiste en provenance des facs américaines adeptes de la French theory. Evitez également le point Godwin, genre « le refus de manger des animaux n’est pas l’apanage des gauchistes puisque Hitler était végétarien », car il est rare de convaincre et d’ouvrir des débats rationnels avec ce type de propos.

La science avec vous

Par contre bien évidemment, vous disposez de toute la panoplie des arguments scientifiques maintes fois rabâchés, sauf sur CNews : l’élevage représente au moins 14,5% des émissions globales de gaz à effet de serre et 60% de celles du secteur agricole[1]. L’élevage est également responsable de 68 % des émissions nationales de méthane (CH4)[2], un gaz ayant impact sur l’effet de serre environ 25 fois plus puissant que le dioxyde de carbone (CO2). Donc à votre échelle individuelle, avec votre mode de déplacement, ce que vous mettez dans votre assiette constitue le choix le plus impactant que vous puissiez faire pour réduire votre empreinte carbone et lutter efficacement contre le changement climatique. S’y ajoutent toutes les questions d’éthologie ayant fait d’immenses progrès ces dernières années[3] en matière de reconnaissance de l’intelligence animale et qui viennent interpeler notre conscience sur cette question abyssale : de quel droit pouvons-nous continuer à massacrer des êtres vivants sentients[4] et à instaurer des hiérarchies animales sans aucune base scientifique[5] ? Quand nos descendants se pencheront sur notre époque, une de ses principales caractéristiques qui heurtera leur conscience sera, sans nul doute possible, l’ampleur du massacre que notre espèce perpétue chaque seconde à l’échelle planétaire : 2000 animaux/seconde, soit plus de 65 milliards d’animaux tués chaque année, et 1.380 milliards d’animaux tués par an en comptant toutes les espèces d’élevage ou sauvages[6]. Une violence d’une ampleur totalement inédite dans toute l’histoire de notre planète.

Face à ces arguments, toute la construction culturelle autour de la viande bonne pour la santé et pour la force, ou plutôt la « virilité », ne tient pas la route bien longtemps. Est-ce que tonton Michel sait par exemple que Mike Tyson[7] ou encore Novak Djokovic[8] pour ne citer qu’eux sont végétaliens ? Alors impuissants les mangeurs de légumes ? Ou ne serait-ce pas plutôt le masculinisme qui s’inviterait jusque dans nos assiettes pour y perpétrer le patriarcat via la bidoche, plus que jamais présent car se sentant menacé par les derniers progrès du féminisme ?

Populaire la viande ?

Tout cela est désormais bien connu pour qui accepte d’ouvrir un peu les yeux. Mais reste l’argument de classe, celui qui à gauche brouille les esprits de certains comme Fabien Roussel, mais aussi Paul Ariès[9] qui prend les vegans pour des imbéciles (peut-être parce qu’avec l’âge, il se transforme lui-même en tonton Michel adepte du « c’était mieux avant »).

L’accès à la viande serait une victoire historique des classes laborieuses, paysannes et ouvrières. Y renoncer aujourd’hui serait un privilège de classe, une posture bourgeoise. Prendre comme prétexte la complicité entre un certain véganisme et le capitalisme pour disqualifier l’ensemble de l’antispécisme est pourtant parfaitement résumé par cette phrase d’Audiard : « Il existe aussi des poissons volants, mais ils ne constituent pas la majorité du genre ! »

C’est ne rien comprendre aux vraies racines de l’antispécisme qui sont profondément subversives et anticapitalistes. Refuser l’exploitation animale, c’est d’abord s’inscrire dans la lignée historique des combats antiracistes, des combats féministes, des combats de toutes les minorités, pour élargir le champ de l’égalité et de la considération au-delà du seul homo sapiens. L’antispécisme est donc bien plus qu’un régime alimentaire ou une position morale, mais bien une critique radicale de l’organisation sociale actuelle[10]. Il est donc intersectionnel et s’adresse en priorité aux dominé.e.s et aux exploité.es. Le faire passer pour une lubie de bobos, en méprisant au passage les classes populaires qui seraient incapables de voir plus loin que l’horizon limité de leur portefeuille, c’est là que réside le véritable mépris de classe. En Inde par exemple, le régime végétarien, avant d’être subi, est bien souvent choisi, à la fois pour des questions éthiques et politiques, au sens le plus noble du terme, dans la droite ligne de Gandhi, au sein des mouvements de petits paysans sans terres parmi les plus démunis. Et ces derniers ne mangent pas de steaks végétaux achetés chez Naturalia.

Donc que votre tonton Michel soit de droite tendance raciste relou ou de « gauche » tendance barbecue, pour Noël les meilleurs arguments seront avec vous quand vous refuserez de manger des cadavres. Mais surtout c’est l’esprit de la fête qui sera de votre côté, en choisissant une assiette pleine de vie, grâce aux milliers d’excellentes recettes alternatives qui existent aujourd’hui[11].

Alors relevez la tête, éteignez TV Bolloré et reprenez de cette excellente poêlée de seitan aux morilles et vin blanc. Et citez Confucius en fin de repas pour vous la péter un peu : « Tant que les hommes massacreront les animaux, ils s’entre-tueront. Celui qui sème le meurtre et la douleur ne peut récolter la joie et l’amour. »

Benjamin Joyeux


[1] https://www.celagri.be/quel-est-limpact-de-lelevage-sur-les-gaz-a-effets-de-serre/

[2] Voir https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/climat/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-et-l-empreinte-carbone-ressources/article/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-de-l-agriculture

[3] Lire par exemple https://www.radiofrance.fr/franceculture/animaux-hommes-notre-intelligence-n-est-pas-forcement-la-plus-performante-selon-une-primatologue-9636113

[4] Un être sentient a la capacité d’éprouver des choses subjectivement et d’avoir des expériences vécues. Il ressent la douleur, le plaisir et diverses émotions. C’est donc un être conscient.

[5] Nous vénérons nos animaux domestiques et considérons normal d’abattre des animaux d’élevage alors qu’il n’y a pas de différence de nature entre eux, seuls des choix culturels de notre part.

[6] Voir https://www.planetoscope.com/elevage-viande/1172-nombre-d-animaux-tues-pour-fournir-de-la-viande-dans-le-monde.html

[7] https://sport.gentside.com/boxe/mike-tyson-explique-pourquoi-il-est-devenu-vegan-et-comment-cela-lui-a-sauve-la-vie_art69051.html

[8] Lire https://lecolodesmontagnes.fr/2021/01/26/novak-djokovic-un-vegan-au-top/

[9] Lire https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2022/01/29/paul-aries-viandards-et-vegans-sont-les-enfants-de-la-meme-epoque_6111522_4497916.html et surtout la réponse d’Aymeric Caron : https://reporterre.net/Le-veganisme-merite-mieux-que-l-insulte

[10] Lire à ce propos cet excellent article : https://paris-luttes.info/antispecisme-et-lutte-des-classes-15550

[11] Voir par exemple : https://vegan-pratique.fr/cote-cuisine/des-fetes-vegan/

Publié par Benjamin Joyeux

Journaliste indépendant

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