Covid 19 et quartiers populaires : politiser la colère face aux violences policières

Le Coronavirus aura au moins eu un mérite, celui de rappeler la réalité des immenses fractures sociales et territoriales françaises, alors que la crise sanitaire mettait au second plan la précédente séquence des Gilets Jaunes, pourtant loin d’être résolue. L’une de ces principales fractures, rendant ineffective la devise républicaine « liberté, Égalité, fraternité » pour toute une partie de la population française, est le sort subi par les habitants des quartiers populaires, qui s’est aggravé pendant le confinement. Mais loin de se placer dans une position victimaire, un certain nombre d’entre eux, rassemblés dans des associations et mouvements issus de ces quartiers, organisent la solidarité et lancent un nouvel appel, rejoints par de grandes associations et centrales syndicales. Ils organisaient une conférence de presse en ligne ce lundi 4 mai :

Tous confinés mais pas dans les mêmes conditions 

Depuis bientôt deux mois maintenant, quelques 67 millions de Françaises et Français sont confinés chez eux, assignés à résidence et autorisés à sortir uniquement pour des besoins impérieux, munis d’une attestation en bonne et due forme. Au risque sinon de se faire verbaliser par la police. L’ensemble du territoire, malgré son immense diversité, entre zones urbaines très denses et rurales quasiment désertes, entre mers et montagnes, entre petits villages et grandes villes, s’est vu loger à la même enseigne, selon la vieille tradition jacobine de notre Etat centralisateur et obsédé du contrôle. Mais dans les quartiers populaires, les habitants ont visiblement eu droit pendant ces deux mois à un surplus de « sollicitude » de la part de l’Etat.

C’est ainsi que le site Reporterre nous apprenait le 8 avril dernier que dès le 2e jour de confinement, la Seine St Denis concentrait à elle seule 10% des verbalisations pour non-respect du confinement, informant au passage d’un nombre accru de violences policières dans des quartiers où déjà en temps normal, les habitants, et en particulier les jeunes, se plaignent du comportement des forces de l’ordre. Puis le 18 avril, un motard de 30 ans s’est retrouvé à l’hôpital gravement blessé à la jambe, percuté par la portière d’un véhicule de police banalisé à Villeneuve la Garenne. Cette nouvelle altercation a provoqué dans la ville des émeutes urbaines les trois nuits suivantes, comme le raconte le Bondy Blog, mais a également incité une trentaine d’organisations politiques, syndicales et militantes (parmi lesquelles la CGT, le Comité Adama, ATTAC, le NPA ou encore le syndicat Solidaires) à lancer un appel très clair dans une tribune publiée par le Bondy Blog, Médiapart et Regards le 24 avril dernier et intitulée « la colère des quartiers populaires est légitime ».

Une colère légitime

Dans la droite ligne de cette tribune, une conférence de presse virtuelle était donc organisée ce lundi 4 mai à 16h : Omar Slaouti pour le Collectif du 10 novembre contre l’islamophobie y a ouvert le bal, rappelant que depuis des années, aucune condamnation n’avait jamais eu lieu à l’encontre de policiers ayant tué ou mutilé, que ce soit dans les quartiers ou lors des manifestations des Gilets Jaunes. A ses yeux, il ne s’agit pas de « bavures policières » mais de « violences structurelles » de la part de l’Etat, contre lesquelles l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale) n’est absolument pas le bon outil de contrôle, composé exclusivement de policiers. C’est pourquoi le Collectif revendique une instance indépendante pour surveiller la police, comme il en existe en Grande Bretagne, en Belgique ou aux Pays-Bas.

Céline Verzeletti pour le syndicat CGT a ensuite pris la parole pour insister sur le cumul des problématiques auxquelles les populations des quartiers populaires doivent faire face : chômage de masse (qui aurait d’ailleurs augmenté de 7% depuis le début du confinement), abandon des services publics, « acharnement répressif » de la part de l’Etat et stigmatisation médiatique qui continue pendant la crise sanitaire. La militante syndicale a notamment souligné la différence de traitement médiatique entre le département du 93 ou encore les 18e et 19e arrondissements de Paris, pour lesquels on soulignait une absence de respect des règles du confinement, en oubliant au passage de filmer les nombreux habitants du 16e fuyant Paris pour leur résidence secondaire. Quant au gouvernement, il semble se saisir de cette crise pour alimenter davantage son arsenal répressif qui cible toujours les mêmes populations plutôt que de mettre en place une véritable politique à destination de ces quartiers et des populations les plus précaires. Céline Verzeletti a insisté sur le fait que cette pénurie des services publics et cette indigence de l’Etat dans ces quartiers étaient des « choix politiques » (rappelant au passage que le plan Borloo a été rejeté d’un revers de main par la majorité actuelle) face auxquelles la convergence d’action et de lutte s’avérait nécessaire.

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Céline Verzeletti durant la conférence

Une convergence historique ?

Youcef Brakni, du Collectif Adama, a souligné quant à lui le caractère inédit de l’appel et de la conférence en cours, rappelant que durant les émeutes de novembre 2005 qui avaient pourtant duré trois semaines, aucune grande organisation de gauche n’avait réellement pris la défense des quartiers populaires. Cette fois-ci, la CGT, Solidaires, ATTAC et d’autres ont répondu présent. Le militant a rappelé toutefois que des partis comme la France Insoumise, Europe Ecologie Les Verts ou encore le PC n’avaient pas signé l’appel et qu’il faudrait savoir pourquoi. Il a insisté sur le fait que ces émeutes, qui sont des révoltes de « dominés », s’inscrivaient avant tout dans l’histoire des révoltes populaires françaises, qu’il fallait donc en revenir à un discours de classe, et que c’était le rôle de toute organisation de gauche de les soutenir. Youcef Brakni a rappelé ensuite avec emphase que ces jeunes des quartiers victimes des violences policières étaient bien souvent les enfants de tous ces salariés précaires, qui partaient au front en 1ère ligne face au Covid, dans les hôpitaux, les supermarchés, etc. et tombaient les premiers. Si ces gens-là étaient véritablement des « héros », comme le souligne les médias et les autorités, « leurs enfants ne seraient pas traités comme ça ». Pour le militant du collectif Adama : « la gestion politique de ce virus a tué bien plus que le virus lui-même », demandant notamment la démission du commissaire Vincent Laffont, qui ne cesse de grimper dans la hiérarchie policière alors qu’il a été au cœur de plusieurs affaires de violences graves et condamné plusieurs fois. Le militant a appelé enfin à un rassemblement en forme de chaîne humaine le 11 mai prochain à l’Ile Saint Denis pour dénoncer les violences policières dans les quartiers populaires mais également lancer un début de convergence des luttes.

S’organiser face aux carences de l’Etat

Verveine Angeli, de l’Union syndicale Solidaires, a ensuite expliqué la position de son syndicat qui a signé l’appel dans ce contexte particulier de violences sociales et raciales à caractère néocolonial à l’égard des populations des quartiers qui sont pourtant principalement celles qui font tourner le pays pendant le confinement. Les mesures prises par le gouvernement et le comportement de la police ne protègent pas la population, bien au contraire, alors qu’il y aurait pour Solidaires bien d’autres mesures à prendre immédiatement : augmenter les salaires, et en particulier le SMIC, pour l’ensemble de ces gens qu’on applaudit tous les soirs à 20h, prolonger les droits des chômeurs et abroger la réforme de l’assurance chômage,  doubler le RSA, actuellement en dessous du seuil de pauvreté, adopter un moratoire sur le paiement des loyers, généraliser la gratuité des masques, régulariser les sans papiers et prendre soin des travailleurs migrants dans les foyers, actuellement dans une situation sanitaire dramatique, etc.

Mohamed Bensaada pour le Syndicat des quartiers populaires de Marseille, s’appuyant sur la situation constatée dans la cité phocéenne, a souligné ensuite la « défaillance totale des services de l’Etat ». Alors que l’impact du confinement a été beaucoup plus dramatique dans des quartiers dont une bonne part de la population vit de l’économie informelle, aucun amortisseur social n’a par exemple été prévu par les autorités. Ainsi « tout s’est effondré du jour au lendemain » et sur le terrain « c’est la solidarité des particuliers qui s’est mise en place pour pallier aux autorités ». C’est ainsi qu’ils ont décidé à Marseille de réquisitionner un McDonald’s (comme l’ont raconté par exemple Basta ou France Bleu) pour créer une plateforme de la solidarité et distribuer des repas pour les populations marseillaises démunies face au confinement. Tant et si bien qu’ils distribuent désormais 3000 colis alimentaires par semaine, mais n’ont pas vocation à continuer à le faire, cette situation correspondant à une très grave faillite de l’Etat qui devrait pourtant garantir la sécurité alimentaire.

Mohamed Bensaada pendant la conférence

La nécessité d’une réponse politique

Aurélie Trouvé a conclu la conférence en rappelant la légitimité de la colère qui s’exprime dans ces quartiers face à un Etat qui les abandonne, préparant « des jours d’après pire que les jours d’avant ». D’après la porte-parole d’ATTAC France, le gouvernement a donné depuis un mois et demi un bon aperçu de « ce qui nous attend si on ne se met pas en colère et qu’on ne constitue pas un front large populaire et écologiste » : un Etat « encore plus néolibéral et autoritaire », une levée de toutes les contraintes environnementales au nom de la relance économique, un risque de « renationalisation du capitalisme au profit des grand patrons français » ou encore une surveillance numérique renforcé et des atteintes aux droits fondamentaux, en particulier vis-à-vis des migrants. Aurélie Trouvé a conclu son intervention sur l’urgence et la nécessité de se montrer solidaires avec les quartiers populaires et les personnes les plus précaires, abandonnés par le gouvernement pendant cette crise sanitaire, rappelant qu’une politique écologique et sociale était tout à fait possible et finançable, l’argent étant là, à condition de « se confronter enfin aux plus riches et aux multinationales ».

Cette conférence de près d’une heure et demi a déjà été visionnée plusieurs milliers de fois sur Facebook depuis hier, début de convergence prometteuse d’acteurs de la solidarité face à des autorités françaises totalement indigentes sur le plan social et ne sachant offrir que des réponses sécuritaires à une crise sanitaire. On était aux antipodes de l’approche ethnique et folklorique, pour ne pas dire raciste, des quartiers populaires telle qu’on la retrouve trop souvent dans les médias mainstream, comme récemment dans Paris Match.

Rendez-vous est donné le 11 mai prochain. Y croisera-t-on cette fois-ci le PCF, La France Insoumise ou encore EELV ?

Publié par Benjamin Joyeux

Journaliste indépendant

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