Ces temps-ci, les médias ont mauvaise presse, et c’est peu de le dire ! Le dernier baromètre 2020 de la confiance des Français dans les médias (réalisé tous les ans par Kantar pour La Croix) est à son plus bas niveau depuis 1987, année de sa création. Un sondage pour le Reuters Institute donne des chiffres encore plus alarmistes : sur 40 pays, la France arrive à une pathétique 39e place, avec 24% de confiance en les médias. Certes la méfiance à l’égard des médias ne date pas d’hier : dès la naissance de la presse au 17e siècle, on l’accusait déjà d’être la voix du pouvoir à la solde des puissants. Quant aux fameuses fake news, elles ne sont sans doute que la version moderne des rumeurs d’antan. Mais ces dernières années, et particulièrement ces derniers mois, entre le mouvement des Gilets Jaunes et la couverture de la pandémie de Covid 19[1], la défiance, voire la haine à l’égard de l’ensemble des médias considérés comme « mainstream » semble être encore montée d’un cran. Ce média bashing ambiant tellement à la mode n’est-il pas un peu facile ? Et faut-il mettre tous les journalistes dans le même panier ?
Pour essayer d’y voir clair dans tout ça, et partant de son propre regard, la journaliste Anne-Sophie Novel a mené l’enquête pendant cinq ans. Le fruit de son travail, un remarquable documentaire, « Les médias, le monde et moi », complété d’un livre du même nom, sorti en 2019. Du Danemark aux Etats-Unis, en passant par la France et l’Angleterre, son film nous plonge dans les coulisses des rédactions et interroge tout un tas de journalistes et professionnels de l’information qui osent réinterroger avec profondeur et sincérité leur métier. Et si la surinformation qui nous submerge du matin au soir, la fameuse « infobésité », était mauvaise pour notre santé mentale comme la « malbouffe » l’est pour notre santé physique ? N’y aurait-il donc pas une manière plus « bio » d’informer ? Anne-Sophie Novel, forte de son prisme écolo, nous fait ainsi découvrir de nouvelles approches de l’information, dont beaucoup peuvent être rassemblées sous le vocable de « journalisme constructif » (ou journalisme des solutions).
En effet, un des grands reproches du public qui revient sans cesse est que les médias sont des « oiseaux de mauvais augure » qui, à force de n’annoncer que ce qui ne va pas, finissent par déprimer tout le monde, surtout à l’heure des chaînes d’info en continue : guerres, conflits sociaux, catastrophes climatiques, crises en tous genres… Or si un certain nombre de trains arrivent en retard, on en oublie que la majorité sont toujours à l’heure. Comme le démontre par exemple avec brio dans le film Ulrike Haagerup, ancien directeur de l’information de la Télévision publique Danoise, fondateur du « Constructive Institute » et aujourd’hui parmi les principaux promoteurs du « journalisme constructif » : malgré tout ce qui ne va pas et que l’on constate aux informations, « la réalité de la planète n’a jamais été aussi positive ». Par exemple la criminalité est en baisse, le nombre d’accidents de la route également, il n’y a jamais eu aussi peu de morts dus à la guerre à l’échelle mondiale, malgré le conflit en Syrie… Donc le journalisme constructif ne consiste pas à nier ce qui va mal, mais plutôt à dresser un portrait plus complet de la réalité, et surtout à montrer pour chaque problème qu’il existe également des solutions. Un reportage montre la déforestation dramatique actuelle en Indonésie ? Complétons-le par l’interview d’une association locale qui œuvre sans relâche au reboisement par exemple.
Il convient également de partager davantage non seulement l’information, mais également la façon de la fabriquer, comme le fait la rédaction de Nice Matin depuis quelques années qui organise chaque mois des rencontres avec ses lecteurs pour les faire participer directement aux choix des sujets traités dans le journal. Un journal qui devient ainsi davantage « leur » journal.
Avec tout un tas d’exemples et de bonnes pratiques comme celles-ci, Les médias, le monde et moi nous offre ainsi pendant 70 minutes un véritable bol d’air qui rassure et réconcilie avec le métier de journaliste. Car dans ce monde qui croule sous les informations de toutes sortes, nous n’avons sans doute jamais eu autant besoin de médias professionnels et indépendants qui décryptent au mieux l’actualité pour nous permettre d’exercer pleinement notre citoyenneté.
Comme le résume le réalisateur et militant du climat Cyril Dion : « Faire un film qui interroge le rôle des médias dans le fonctionnement de notre démocratie et qui ouvrent des pistes pour que ces mêmes médias participent à construire de nouveaux récits, à stimuler nos imaginaires, à décoder le monde pour que chacun puisse se positionner, n’a sans doute jamais été aussi nécessaire. »
Benjamin Joyeux
Plus d’infos :
https://larevuedesmedias.ina.fr/le-journalisme-de-solutions-revolution-culturelle-de-linfo
[1] L’incroyable succès du documentaire Hold Up, malgré toute la couverture médiatique très critique à son égard, est venu le souligner en creux. Lire https://www.marianne.net/societe/medias/du-jour-du-seigneur-a-hold-up-pierre-barnerias-un-realisateur-electron-libre