Voici trois livres à lire de toute urgence, trois ouvrages exceptionnels écrits par des femmes mais à destination de tous, et en particulier des hommes dont certains pourraient se sentir perdus en ces temps de renouvellement profond de la pensée féministe. Trois remèdes efficaces contre le racisme, le machisme et toutes les métastases réactionnaires qui envahissent actuellement nos ondes :
Sorcières de Mona Chollet, L’art de perdre d’Alice Zeniter et Le pays des autres de Leïla Slimani : voici trois ouvrages que je viens de lire à la suite et un peu par hasard ces derniers jours. Or il s’avère que ces derniers se complètent parfaitement et viennent on ne peut plus à propos éclairer utilement notre époque, caractérisée notamment par ses doutes existentiels sur l’identité.
Tout d’abord Sorcières, la puissance invaincue des femmes, le best seller de la journaliste Mona Chollet, sorti en 2018, explore avec brio l’imaginaire patriarcal qui, depuis les chasses aux sorcières du Moyen-Age, brime en permanence l’indépendance des femmes. A travers la traque de la figure de la sorcière, l’ouvrage démontre comment s’est imposé le rapport guerrier des hommes vis-à-vis des femmes, et plus largement vis-à-vis de la nature. Si vous voulez comprendre un peu mieux ce que l’on entend par éco-féminisme, et avoir des arguments imparables à rétorquer à vos connaissances qui, suite à une bouffée délirante, seraient intéressées par les propos démentiels d’Eric Zemmour, ce livre est fait pour vous.
L’art de perdre ensuite, sublime roman d’Alice Zeniter sorti en 2017, raconte l’histoire d’une famille engluée dans son passé à travers trois générations entre la France et l’Algérie. A travers cette famille, ce sont toutes les relations ambigües entre les deux pays qui apparaissent, montrant à quel point l’inconscient colonial continue de nous travailler des deux côtés de la Méditerranée. A l’heure où le racisme et l’incompréhension continuent de faire des ravages en France comme en Algérie, ce roman démontre à travers des destinées individuelles, notamment celles de harkis, que la quête de liberté ne peut se faire sans une bonne compréhension du passé et de ses héritages. Un bon remède notamment pour toutes celles et ceux englués dans l’imaginaire paresseux du « déclin français ». Car les Trente Glorieuses françaises que certain.e.s semblent regretter avec nostalgie se sont surtout construites sur l’exploitation et la souffrance des peuples colonisés et de leurs descendants, boucs émissaires toujours bien commodes des impérities françaises. Un livre à envoyer d’urgence à la famille Le Pen, mais également aux dirigeants des Républicains et à Gérald Darmanin.
Le Pays des autres enfin, de Leïla Slimani, évoque à travers le destin de Mathilde, jeune femme Alsacienne mariée à un Marocain combattant de l’armée française durant la Seconde Guerre Mondiale, les difficultés de l’accession à l’indépendance du Maroc mais également celles d’être femme et blanche désormais installée à Meknès avec mari et enfants, dans un pays au climat conservateur et patriarcal, qui plus est en pleine guerre d’indépendance. Par un subtil jeu de miroir, ce roman dénonce avec force comment le colonialisme a imposé ce « pays des autres », dans lequel les femmes sont aliénées au pays des hommes, les indigènes au pays des colons, les paysans au pays des soldats. Ou comment quelles que soient son identité et ses origines, ce ne sont pas celles-ci qui sont en cause dans les racines du « mal », mais le processus colonial. « Les racistes sont des gens qui se trompent de colère » écrivait Léopold Ségar Senghor. Des propos parfaitement illustrés par cet ouvrage.
Un essai, deux romans, trois bonnes raisons d’essayer de se montrer plus altruiste, non-violent et éco-féministe. Des lectures pour progresser dans son niveau de conscience plutôt que d’alimenter la machine à ressentiment décrite récemment par Pierre Rosanvallon.
Benjamin Joyeux