Plus que quelques jours pour sauver L’ECREVIS

Il ne reste plus que quelques jours pour participer à la campagne de financement et sauver L’ECREVIS, ce tiers-lieu annécien, laboratoire des luttes et des expérimentations sociales et environnementales locales. Cet espace devenu emblématique mérite qu’on s’y attarde et qu’au-delà de sa spécificité, la dynamique citoyenne existante autour des tiers-lieux soit pérennisée et renforcée partout sur le territoire :

Réussira-t-on à sauver L’ECREVIS ? L’écrevisse, avec « sse » à la fin, est le nom vernaculaire donné à cette espèce appartenant à la classe des crustacés, elle-même classée dans l’ordre des décapodes, très appréciée dans l’assiette de l’homo sapiens. Celle-ci, victime comme nombre de ses congénères de la surpêche, n’est toutefois pas immédiatement menacée de disparition. Par contre, L’ECREVIS annécienne voit, elle, ses jours comptés.

Soirée eau à L’ECREVIS le 20 février 2023 ©Benjamin Joyeux

L’ECREVIS est un acronyme assez inspiré signifiant « l’Espace Commun de Rencontres Extraordinaires Vecteur d’Idées à Suivre ». C’est le joli nom d’un « tiers lieu » devenu assez emblématique à Annecy qui a pris ses quartiers depuis 2018 dans un ancien atelier de menuiserie laissé à l’abandon à Meythet. Il se situe à deux pas de l’aérodrome et au bord d’un bras du Fier dans lequel on peut apercevoir des écrevisses à pattes blanches, espèce indigène menacée.

Mais tout d’abord qu’est-ce qu’un « tiers-lieu » pour les non-initiés ?

Expérimentation sociale et réappropriation citoyenne

Cette notion de « tiers-lieu » est une expression inventée à l’origine par un sociologue américain, Ray Oldenburg[1], et qui désigne : « Des lieux qui ne relèvent ni du domicile, ni du travail. Des lieux hybrides qui se situent entre l’espace public et l’espace privé, contribuant ainsi au développement économique et à l’activation des ressources locales ».

II s’agit d’espaces ouverts où des personnes peuvent se rencontrer et échanger des idées, des savoirs, des compétences de façon informelle, sans les rapports hiérarchiques ou marchands habituels du monde du travail, des entreprises ou encore du commerce. Fablabs[2], friches culturelles, espaces de coworking… les tiers-lieux permettent de mutualiser des espaces et des compétences et de mélanger, « hybrider » est le terme adéquat, diverses activités portées par des collectifs citoyens plus ou moins engagés. Mais attention, il n’y a pas vraiment de définition officielle et de caractéristiques inhérentes à un tiers lieu. Chacun d’entre eux a ses spécificités, son mode de fonctionnement et ses communautés propres. C’est l’explosion du numérique partout sur le territoire qui a permis la multiplication de ces lieux d’expérimentation sociale. Et à l’heure du changement climatique et de la lassitude démocratique, face à un Etat et des institutions de plus en plus décriés, le tiers-lieu semble permettre une certaine réappropriation citoyenne d’enjeux plus ou moins locaux. Et face à la verticalité du pouvoir, si caricaturale en France, le tiers-lieu offre une respiration démocratique appréciée par ses thuriféraires.

En 2022, d’après France tiers-lieux, groupement d’intérêt public national créé par l’Etat, on ne compterait pas moins de 3500 tiers-lieux en France[3].

Sauver un espace de convergence de la spéculation

La Haute-Savoie n’est pas en reste et compte de plus en plus de tiers-lieux emblématiques, appréciés par les réseaux associatifs et citoyens locaux, comme la Bulle à Annemasse[4], la R’Mize[5] à Thonon-les-Bains, La BASE à La Roche-sur-Foron[6], La Fourmillante aux Villards-sur-Thônes[7] ou L’ECREVIS à Annecy[8].

Calendrier de L’ECREVIS de mars 2023 © Benjamin Joyeux

Par définition ouverts à tous, ces tiers-lieux prennent qui plus est une dimension particulière sur un territoire gangréné par la spéculation immobilière et l’explosion du coût du logement comme peut l’être le département de Haute-Savoie. À Annecy, où le prix du mètre carré est quasi équivalent à celui de Paris, trouver des locaux pour une association relève du parcours du combattant.

Des lieux ouverts et gratuits pour se retrouver et échanger, comme peut l’être L’ECREVIS, sont donc particulièrement précieux. Encore faut-il les sauver de la spéculation. Car les centaines de m2 du tiers-lieu annécien, estimés entre 800 000 et 1,2 million d’euros (avec les travaux), sont évidemment particulièrement convoités, alors que ses propriétaires sont vieillissants et ont vocation à vendre les locaux. Or aujourd’hui L’ECREVIS ne cesse d’accueillir beaucoup d’associations et d’organiser toute une kyrielle d’activités nécessaires à la dynamique citoyenne locale et à la convergence de divers mouvements et activités. Comme tout récemment un weekend consacré aux low tech, les 6 et 7 mai derniers, ou encore une soirée sur la sauvegarde de l’eau en février dernier avec Les Soulèvements de la Terre[9]. La vente des locaux à un propriétaire privé risquerait bien de signer l’arrêt de mort de toutes ces activités.

C’est pourquoi tous les bénévoles de L’ECREVIS se sont lancés dans le projet un peu fou mais parfaitement logique d’acheter l’ensemble de l’ancienne menuiserie et son terrain attenant, par le biais d’une grande campagne de financement participatif. C’est ainsi que depuis l’année dernière, des dizaines de personnes tous azimuts se mobilisent pour réunir les centaines de milliers d’euros nécessaires au rachat de ce site[10].

Objectif 500 000 euros avant le 31 mai

Le résultat est d’ores et déjà impressionnant puisqu’au 9 mai dernier, plus de 325 000 euros avaient été récoltés en dons, en parts sociales et en obligations. Néanmoins la viabilité financière du projet est fixée à 500 000 euros, qu’il faut atteindre d’ici le 31 mai prochain, soit dans une vingtaine de jours.

Difficile mais certainement pas impossible, vu le chemin parcouru jusqu’ici :

(Lire le témoignage de Pierre sur Librinfo 74)

Tandis que l’autoritarisme de l’Etat ne cesse de grandir face à l’accélération de l’effondrement écologique et à la crise politique actuelle, des espaces de respiration démocratique comme L’ECREVIS sont plus que jamais nécessaires à la bonne santé du territoire. Alors toutes et tous à vos portefeuilles ! « Un petit billet pour l’homme mais une fortune pour l’Humanité » pour paraphraser l’autre.

Benjamin Joyeux

* Toutes les infos ici : https://ecrevis.eco/site/avenir/investissements-immobiliers/


[1] Dans son ouvrage The Great, Good Place, paru en 1999 chez Marlowe & Co.

[2] Lire https://fr.wikipedia.org/wiki/Fab_lab

[3] Voir https://francetierslieux.fr/

[4] Voir https://www.annemasse.fr/au-quotidien/culture/la-bulle/la-bulle-tiers-lieu-culturel

[5] https://www.larmize.com/

[6] https://labase-paysrochois.org/

[7] https://www.lafourmilliante.org/

[8] https://ecrevis.eco/site/

[9] Lire https://librinfo74.fr/des-montagnes-jusquaux-plaines-sunir-contre-laccaparement-de-leau/

[10] Lire par exemple https://www.lessorsavoyard.fr/43171/article/2022-06-30/meythet-le-tiers-lieu-l-ecrevis-mise-sur-la-force-du-collectif-pour-sauver-ses

[11] Voir https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/vienne/poitiers/subventions-d-alternatiba-ce-n-est-pas-surprenant-que-ce-soit-une-association-ecologiste-qui-soit-ciblee-2618860.html

Publié par Benjamin Joyeux

Journaliste indépendant

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